Ça devient une habitude. Tous les trois mois, une foule compacte de commentateurs et d’«experts» autoproclamés, de plus en plus nombreux et apparemment impatients, annoncent avec une sorte de délectation la «faillite» imminente de l’Etat algérien.
Rappelons-nous, c’était déjà le cas au mois de mars dernier. On annonçait un «grave dérapage» des dépenses de l’Etat prélude à une «faillite inévitable». Mais comme depuis cette date on n’a pas constaté de «faillite» apparente, les mêmes commentateurs et économistes en herbe, sans doute déçus, reviennent donc à la charge cette semaine en espérant probablement que cette fois sera «la bonne» .
A l’origine de cette annonce «sensationnelle», on trouvait, (déjà) au printemps dernier, les chiffres dévoilés par le ministère des Finances lui-même. Pour les deux premiers mois de l’année 2016, les finances de l’Etat affichaient une croissance exponentielle des dépenses d’équipement et un déficit record mesuré à plus de 14 milliards de dollars. Stupéfaction dans les milieux financiers. Les spécialistes, que nous consultions évoquaient l’inscription probable de dépenses « exceptionnelles ».
Une hypothèse confirmée quelques jours plus tard. Le ministère des Finances avait décidé d’inscrire en dépenses, au premier trimestre 2016, tous les restes à réaliser de 2014 et 2015. Ce qui donnait aux dépenses publiques des premiers mois de 2016 un profil qui n’est évidemment pas extrapolable à l’ensemble de l’année. Cette démarche était d’ailleurs en droite ligne avec la politique annoncée depuis l’été 2015 et l’adoption de la LFC pour la même année.
Le gouvernement explique en substance depuis plus d’un an que «tous les projets en cours d’exécution seront achevés mais que les nouveaux projets seront examinés au cas par cas et financés en priorité par des ressources non budgétaires». Pas de risque donc de «dérapage» des dépenses d’équipement de l’Etat en 2016. C’est même exactement le contraire qui est en train de se produire et de se confirmer, mois après mois, comme nous allons le voir.
Aucun «dérapage» des dépenses publiques en 2016
Après les précisions du ministère des Finances, l’incident est-il clos et le débat sur le dérapage des finances publiques évacué ? Bien sûr que non. Puisque ces derniers jours, le même ministère des Finances, décidément très adepte de la transparence financière, livre un nouveau bilan des finances publiques au terme des six premiers mois de l’année en cours. Les chiffres sont logiquement, ainsi que les chroniques économiques d’Algérie Focus l’annonçaient au mois de mars dernier, beaucoup moins alarmants que ceux des deux premiers mois de l’année. Une première constatation, la plus importante, a en effet échappé à nos commentateurs. Les dépenses de l’Etat au premier semestre sont déjà «rentrées dans les clous» en dépit des engagements exceptionnelles du premier trimestre. Plus de «dérapage» puisque les dépenses du premier semestre s’élèvent à environ 41 milliards de dollars alors que les prévisions de la loi de Finances pour l’ensemble de l’année 2016 sont d’environ 80 milliards de dollars. Explication : le gouvernement, ainsi qu’annoncé, a engagé un minimum de nouvelles dépenses d’équipement au deuxième trimestre ce qui a provoqué un tassement des dépenses au titre des six premiers mois de l’année qui retrouvent ainsi un profil normal au regard des prévisions de l’exécutif.
Compte tenu de la tendance des quatre derniers mois, on peut même désormais, sans grand risque d’erreur, aller plus loin et anticiper pour l’année 2016 des dépenses totales qui seront sans doute inférieures à celles prévues par la loi de finance.
Le déficit rentre dans les clous
En l’absence de «dérapage des dépenses» de l’Etat, les nombreux amateurs de «faillite prochaine», voire imminente, sont contraints pour entretenir le suspense et continuer de faire frissonner leur public, de s’intéresser à un nouveau personnage encore plus inquiétant que le précédent. Place désormais au redoutable Monsieur Déficit. Ce dernier est annoncé au niveau de 17 milliards de dollars par le ministère des finances. Ce qui est en effet considérable, mais était largement prévu et imputable essentiellement à l’effondrement des prix du baril qui ont touché un plancher de 30 dollars en moyenne au premier trimestre. Le problème est que nos commentateurs ont oublié qu’à la fin du mois de février dernier, le déficit était déjà de plus de 14 milliards de dollars. Ce qui veut dire qu’il n’a augmenté que de trois milliards de dollars au cours des quatre derniers mois et qu’il est, lui aussi, tout comme les dépenses de l’Etat et pour exactement les mêmes raisons, «rentré dans les clous». Sur cette pente, il devrait même cette année rester inférieur aux prévisions de la loi de finance qui le situait à plus de 25 milliards de dollars et aux 16 % du PIB annoncés par les institutions financières internationales.
Le terrible Monsieur Déficit s’enfuit avec les ressources de l’emprunt obligataire
Comme la tendance est clairement à la baisse du déficit, il faut bien trouver un nouveau motif pour entretenir une délicieuse terreur et une saine colère au sein du public. Nos chers commentateurs n’ont pas eu besoin de chercher longtemps. Une fois de plus, c’est le ministère des Finances lui-même, relayé par la très officielle APS, qui ont fourni la matière première. Cette fois ci, le ministère des Finances s’est même surpassé en annonçant carrément, et très doctement, que «les ressources de l’emprunt obligataire ont servi a financer 18 % du déficit budgétaire au premier semestre» (sic).
La conclusion a été très rapidement tirée, comme un seul homme, par la quasi-totalité de la presse nationale: premièrement, Abderrahmane Benkhalfa est un fieffé menteur qui nous a raconté des histoires. Deuxièmement, les ressources de l’emprunt obligataire se sont évaporées dans la nature emportées par un personnage fantasmatique, le terrible Monsieur Déficit .
Apparemment, il n’est venu à l’esprit d’aucun de nos commentateurs, économistes en herbe, que le déficit est seulement un résultat comptable et non pas un bandit de grand chemin.
Les 300 milliards de dinars de ressources de l’emprunt obligataire collectées au premier semestre ne sont pas parties en fumé .Elles ont permis de financer près d’un cinquième des dépenses d’équipement de l’Etat (qui ont atteint 1570 milliards de dinars au cours des six premiers mois de l’année). Elles ont contribué entre autres à la construction, en cours, de pénétrantes autoroutières, d’ouvrages hydrauliques, de centrales électriques et de nouvelles lignes de chemin de fer qui ne sont pas sorties de terre par l’opération du Saint Esprit. C’est ce que les fonctionnaires du ministère des Finances auraient du expliquer. C’est sans doute trop leur demander.
Des «snipers» au ministère des Finances ?
On peut, en effet, quand même commencer à s’interroger sur la propension des responsables de la communication du ministère des Finances à «flinguer» la politique des autorités financières algériennes. On peut déjà s’étonner qu’une structure du ministère, comme la Direction de la Prévision et de la Prospective (DGPP), ait pris l’initiative de rendre publiques, et de communiquer à la presse, en mars dernier, des statistiques mensuelles manifestement alarmantes sur l’exécution des dépenses publiques sans les accompagner d’aucune explication. Une initiative d’autant plus regrettable qu’elle intervenait quelques jours après le lancement du plus grand emprunt d’Etat de l’histoire de l ‘Algérie indépendante. On ne savait pas qu’on n’était encore qu’au premier «couac» et que le meilleur était encore à venir. Au lieu d’annoncer en toute candeur que «l’emprunt obligataire a financé le déficit de l’Etat», le ministère des Finances aurait pu dire tout aussi bien que «l’argent des épargnants qui ont fait confiance à L’Etat est tombé dans un trou sans fond». L’effet aurait été le même. Mais qui sait de quoi l’avenir sera fait ? Peut être le bilan définitif de l’emprunt d’Etat, promis pour octobre prochain par le nouveau ministre, M . Baba Ammi, nous réserve t’il encore quelques bonnes surprises ?
Soigner la fièvre dépensière de l’Etat
Le problème n’est évidemment pas réglé sur le fond. L’Etat algérien n’est pas en faillite, mais les années qui viennent s’annoncent sous des auspices redoutables pour les finances publiques. Tous les économistes le savent, la seule option viable au cours des prochaines années est celle d’une combinaison entre l’accroissement des recettes ordinaires de l’Etat et une réduction progressive mais très sensible de ses dépenses qui permettra d’éliminer les déficits colossaux auxquels a conduit la véritable fièvre dépensière des dix dernières années. Bien sûr, cela demandera du courage et de la persuasion. On en a eu un premier aperçu à l’occasion des débats enflammés sur la loi de finance 2016. On attend avec intérêt les prochaines escarmouches sur une loi de finances 2017 que tout le monde va se faire un plaisir de détester…