Non, un policier n’est pas chargé de dire la religion Par Abdou Semmar

Redaction

Lundi, nous avons rapporté un incident peu banal. Un homme et une femme adultes, ont dû subir un interrogatoire dans un poste de police pour « trouble à l’ordre public et attentat à la pudeur », avant d’être sermonnés au motif de comportement contraire à la religion.

 

Qu’ont-ils donc fait pour troubler l’ordre public ?

 

Quand un baiser furtif et un effleurement de tendresse de la main risquent de provoquer émeutes, échauffourées et bastons, on pense logiquement que cela se passe à La Mecque face à la kaaba ou devant les tombeaux des sépultures du Prophète ( ASWS ) et de ses compagnons à Médine. Il n’en est rien. Cela s’est passé à Alger ; une ville de la méditerranée qui n’a jamais eu la prétention ni la vocation de remporter la palme de la sainteté.

Alors, essayons de comprendre pourquoi les policiers ont embarqué les deux amoureux.

Soit ils l’ont fait de leur propre initiative parce qu’ils ont été choqués par le comportement du couple, soit ils n’ont fait qu’appliquer la loi. A l’évidence ce n’est pas aussi clair que cela parce que nous n’avons jamais été au clair dans nos sociétés au sujet de la relation homme-femme et de la sexualité en général. Et tant que nous n’avons pas décidé une fois pour toutes de réfléchir collectivement à la nécessaire évolution dans ce domaine, nous serons toujours prisonniers d’un monde flou dans lequel les frustrations accumulées créent une opacité totale.

 

On interpelle un jeune couple au motif de l’expression en public d’un aveu de tendresse interdit par la loi divine. C’est du moins le reproche tel qu’il a été formulé par les représentants de la loi.

 

L’argument faisant référence à la religion, stricto sensu, est recevable si tant est qu’une loi spécifique adossée à l’islam – religion d’Etat – le stipule précisément. Autrement dit, s’il est gravé dans le marbre que le comportement de chaque citoyen et de chaque citoyenne en toutes circonstances, doit s’inscrire dans un cadre conforme aux injonctions coraniques, quelle que soit notre situation sociale, et appliqué à la lettre. Partant de là, nous devrons avoir à cœur nous tous, de veiller à ce que cette loi passe avec la rigueur qui s’impose. Alors, sur l’échelle de la gravité des faits, les détournements de fonds publics, les passe-droits, les vols, les viols, l’enrichissement illicite et toutes les magouilles qu’il serait vain d’énumérer, devraient occuper en priorité et à plein temps les magistrats et les représentants de la loi, bien avant de se focaliser sur le baiser et les gestes de tendresse de nos jeunes tourtereaux.

 

Cela étant dit, je vous concède volontiers que ce genre de comportement chez nos jeunes aujourd’hui, peut dans certains cas – je dis bien dans certains cas – exprimer une certaine forme de défi pour dénoncer l’enfermement intenable qui étouffe notre jeunesse. Il y aurait tout lieu de penser que le jeune couple se serait allé à un baiser furtif et à une caresse volée, plus par bravade que par souci de provoquer gratuitement. Auquel cas, on pourrait comprendre leur ras-le-bol, déplorer avec eux une ambiance générale hypocrite et leur faire part de notre empathie avant de leur rappeler qu’ils n’auraient pas dû transgresser un code de bonne conduite au nom de nos traditions, du respect de l’environnement social et de la prise en compte de notre histoire et de nos mœurs.

 

La libération des mœurs ne signifie pas dépravation et imitation servile de l’Occident. Elle doit être progressive et concomitante à l’élévation du niveau culturel de notre société, à notre ouverture vers les autres civilisations et les autres cultures et à l’assainissement de notre environnement actuel, largement pollué par les nouveaux prédicateurs et par les nouveaux marchands du temple qui veulent nous imposer à marche forcée un mode de vie totalement schizophrène et hors d’âge.

 

De même qu’on ne doit pas au nom de la liberté d’expression insulter ou provoquer. C’est le reproche que nous avions adressé aux non-jeuneurs de Tizi-Ouzou qui s’étaient crus obligés de manger publiquement pour se dissocier des jeûneurs. Etait-ce nécessaire ?

 

Cela nous amène à dénoncer encore une fois l’absence totale de dialogue avec notre jeunesse et l’opacité volontairement entretenue par le Pouvoir. Nos jeunes déjà marginalisés dans de nombreux domaines, se retrouvent exclus du débat public qui les concerne en premier lieu, et livrés de ce fait à eux-mêmes, sans perspective de développement et sans avenir pour la majorité d’entre eux.

 

Alors Monsieur Le Directeur, ne pensez-vous pas que la moralisation de la vie publique doit commencer dès la première enfance et que c’est aux adultes ( parents, éducateurs, législateurs, représentants de la loi…) de donner le bon exemple, en commençant par ne pas confondre la justice de Dieu et celle des hommes ?

 

Un policier n’est pas chargé de dire la religion mais d’appliquer la loi votée par les représentants du peuple.

 

Quant à répondre à un comportement inadmissible en matière d’infraction à la morale et de trouble à l’ordre public, il y a un organisme public ad-hoc : C’est la brigade des mœurs qu’il ne faut surtout pas confondre avec la police des mœurs saoudienne. C’est ce voile qu’il faut lever pour y voir plus clair et c’est cette initiative qui est attendue des pouvoirs publics.

Abdou Semmar