Un sondage que nous avons récemment mis en ligne doit nous interpeller, même si on doit en relativiser les conclusions. Réalisé conjointement par l’Observatoire Arabe des Religions et des Libertés ( OARL ) et la fondation Konrad Adenauer, il est supposé être moins sujet à controverse et nécessite par conséquent qu’on s’y intéresse.
On a sondé des Algériens au sujet de la religion, ou plus exactement de leur environnement religieux. Les réponses sont déroutantes et parfois inquiétantes, mais on finit curieusement par admettre qu’elles sont plausibles tant elles traduisent avant tout, le désarroi des sondés et la conséquence de l’angoisse prégnante dans laquelle ils vivent, plutôt qu’une réflexion profonde. Après tout, le contenu de ces réponses traduit l’expression d’une vie quotidienne rythmée de problèmes existentiels et matériels, et l’absence totale de visibilité aussi bien pour l’avenir immédiat que pour le futur proche, pour eux comme pour leurs enfants.
Le citoyen algérien, lassé par l’accumulation quotidienne de difficultés et de tracas de toutes sortes, et désespérant de vivre un jour une vie normale, se tourne faute de mieux vers la voie la moins anxiogène possible et non pas la plus rassurante. Alors il se raccroche à la foi, ou à ce qu’il croit être la foi, espérant y trouver la solution à ses problèmes et souvent au détriment de l’essentiel, au point de faire passer au second plan, les notions de patrie et de patriotisme.
Du coup 58,5% des Algériens se définissent comme musulmans avant d’être Algériens. La réponse est surprenante parce que la question elle-même est biaisée puisqu’elle hiérarchise les identités et crée un antagonisme qui n’a pas lieu d’être entre la confession et la nationalité ; entre la sphère privée et la sphère publique alors que les deux doivent vivre dans une commune harmonie. Le seul moment où l’Algérien est fier de son appartenance collective, c’est quand l’équipe nationale de football se distingue dans les compétitions internationales ou qu’un joueur comme Mahrez brille en Grande-Bretagne. Peu d’occasions lui sont données pour manifester la fierté de son appartenance. Le personnel politique lui fait honte, la réussite individuelle lui paraît louche et il finit par douter et se lasser de tout. Alors, pour se rassurer ou donner du sens à sa vie il s’en remet effectivement à la religion, ou dans beaucoup de cas à ce qu’il croit être la religion.
79,6% des sondés estiment que l’identité religieuse est beaucoup plus importante que l’identité nationale. La réponse là aussi est singulière parce que la question est surprenante. Vouloir séparer les deux c’est comme demander à un enfant qui il préfère de ses deux parents, son père ou sa mère. Sommé de choisir, et craignant de commettre un blasphème, le croyant met en avant sa foi avant la nationalité et se rassure en considérant qu’il peut en changer alors qu’il ne peut pas abandonner sa religion. A l’examen de ces deux problématiques, on est forcé d’admettre que les sondages ne sont jamais innocents et que la formulation des questions suggère bien souvent les réponses, particulièrement dans leur approche binaire et simplificatrice.
Mais ces deux résultats donnent déjà une indication assez précise sur l’importance accordée à la religion, sans préciser malheureusement le niveau intellectuel des sondés. « De tous les serviteurs de Dieu, seuls les savants le craignent véritablement ». Coran 35/28. Et c’est là où se situent en grande partie les origines d’une dérive catastrophique subie depuis quelques décennies. En effet, aux besoins ayant trait à l’éducation, à la santé, et au progrès en général, des apprentis-sorciers, certainement mandatées par des officines bien connues, ont proposé ou même imposé des solutions tributaires d’un engagement religieux, sous-tendu celui-là par une idéologie mortifère à tous les sens du terme. On leur martèle que la mosquée passe avant l’usine ; le pétrole s’occupant du reste, même si on oublie de rappeler que ce sont des « kouffars » qui s’en chargent.
Tant et si bien, que la quasi totalité des sondés ( 94,5% ) non seulement reconnaissent adhérer à cet « islam » d’importation, mais ils considèrent aussi que les accessoires font partie du dogme et que sans eux la foi n’est plus la foi. Ils soutiennent donc le port du hijab, reconnu implicitement comme une obligation canonique – ce qui est faux – et 34% parmi eux militent pour le voile intégral. C’est à croire que jusque là et depuis quatorze siècles, tous les musulmans ont eu tout faux, jusqu’à l’arrivée de ces prophètes de malheur.
Certes il ne s’agit que d’un sondage et non d’une consultation globale et on se rassure en relativisant la gravité des réponses. Il n’empêche. Il faut se demander comment on a opéré pour établir un échantillon représentatif ? Alger, n’étant pas l’Algérie, s’est-on adressé au pays profond ? A-t-on interrogé les jeunes ? Etc…
Quoi qu’il en soit, il confirme des indications qu’on connaissait déjà et qui sont loin d’être rassurantes. A savoir que la vision de ce « nouvel islam d’importation » fait la part belle à la soumission et à la peur de l’enfer et n’aborde jamais le domaine de la spiritualité qui reste le fondement même de l’islam. Le Prophète (Asws) reste pour les musulmans l’exemple parfait du croyant parce qu’Il a toute sa vie exhorté le fidèle à rechercher en lui-même l’énergie de la foi et à faire un travail continuel sur soi pour corriger ses imperfections et rechercher la voie la plus saine pour aimer et vivre en parfaite harmonie avec tous les hommes. Les Soufis appellent cette quête de l’élévation spirituelle la « voie mohammedienne ». Ceux qui cherchent à se rapprocher de Dieu et à s’accomplir dans la dévotion et la prière doivent s’inspirer de cette voie et seulement de cette voie.
Ces nouveaux prédicateurs élevés en batterie au Moyen-Orient, qui font profession de guides spirituels pour nos jeunes doivent être considérés comme un danger permanent dans la mesure où ils continuent à leur tenir un discours d’exclusion, de châtiments, d’enfer et de géhenne au lieu de leur apprendre à aimer la vie et à rechercher le progrès et la science.
Aziz Benyahia