L’Association de Protection Contre le Sida (APCS) d’Oran lutte pour le dépistage et la sensibilisation des Algériens à cette maladie trop peu connue et souvent diabolisée dans le pays. Rejet, discrimination, exclusion, les séropositifs subissent l’incompréhension de leurs proches et de la société dans son entier. Depuis sa création en 1998, l’APCS leur redonne confiance et tente de changer le regard des Algériens sur le sida.
Amel s’avance, le port altier et les épaules élégamment couvertes par un châle rouge vif, un sourire pendu à ses lèvres coquelicots : il est très difficile de l’imaginer, une dizaine d’années plus tôt, lorsqu’elle a appris sa séropositivité. « On m’a diagnostiqué en phase terminale du sida, j’étais très maigre, presque mourante », raconte-t-elle avec douceur. « Quand je suis arrivée à l’association en 2006, j’avais perdu des cheveux, j’étais très mal en point ». Cette femme pimpante raconte son histoire avec simplicité : la façon dont l’APCS lui a tendu les bras et fait reprendre courage, son implication dans l’association, la façon dont elle devenue animatrice des groupes de parole. « Les personnes qui viennent à l’association sont souvent désespérées. Mon témoignage peut les aider, car je sais ce qu’ils ressentent, je peux me mettre à leur place », explique-t-elle. Amel insiste sur ces thérapies par la parole, aussi importantes selon elle que le traitement contre le VIH.
S’accepter soi-même
« Les femmes sont les plus courageuses, elles acceptent plus facilement la maladie que les hommes », confie-t-elle. Amel raconte en riant qu’à la dernière manifestation de l’association pour réclamer la charge virale [ndrl : une machine qui permet d’évaluer le niveau d’immunité du séropositif], ces derniers se cachaient derrière les femmes. « Le sida est un véritable tabou pour les hommes, et c’est souvent accompagnés de leur femme qu’ils osent demander de l’aide à l’APCS. ». Aujourd’hui, Amel souligne qu’ils sont de plus en plus nombreux dans les groupes de parole. L’association est aussi un lieu de rencontre pour les séropositifs, qui peuvent enfin partager leur réalité avec des personnes qui la comprennent. « Des couples se sont même formés au sein de l’association! », se réjouit-elle. « Ils sont une dizaine à s’être remariés », lance-t-elle dans un clin d’œil.
Mais même si l’association établie à Oran redonne confiance à ces femmes et ces hommes, il leur est toujours difficile d’affronter le regard des autres. « On a accepté notre maladie, c’est la société qui ne l’accepte pas », raconte une femme qui aide Amel à animer les groupes de parole. Si elle dit avoir accepté sa maladie et vivre heureuse aujourd’hui, cette jeune femme au foulard noir souhaite cependant s’exprimer dans l’anonymat. « Appelez-moi Amel, comme mon amie. Cela signifie « espoir », c’est le nom que nous nous donnons toutes lorsque nous témoignons ». Amel « n°2″ fait partie de celles qui se sont remariées avec un homme du groupe de parole. « Je me suis reconstruite aujourd’hui, l’association est une deuxième famille pour moi ».
Le visage sillonné par le temps, un trait de khôl sous les yeux, une autre femme raconte, très émue, le rejet de son entourage. « Lorsqu’ils ont appris ma maladie, mes parents ont coupé les ponts avec moi », dit-elle des sanglots dans la voix. « Ce qui m’a fait le plus mal, c’est de perdre l’ensemble de ma vie privée d’un seul coup. ». « Alors que ce n’est pas moi le problème, mais le virus ! », lâche-t-elle en se triturant les mains.
Sensibiliser et informer sur le sida
Diabolisation d’une maladie avec laquelle il est possible de vivre aujourd’hui, rejet et marginalisation : plus que le sida, ce sont ces trois fléaux que cherchent à éradiquer l’APCS, association la plus importante dans la lutte contre le sida en Algérie. « Le problème en Algérie est la stigmatisation que l’on fait peser sur ce que l’on ne connaît pas. Quand une personne devient différente, on l’exclut du groupe automatiquement », appuie le président de l’association, Abdelaziz Tadjeddine.
Dans une cité comme Oran, connue pour ses nuits agitées ou sa prostitution, la prévention de la transmission du sida est de la plus haute importance. On y recense près de 2000 séropositifs. Les personnes les plus touchées sont essentiellement les travailleurs du sexe, les homosexuels, les prisonniers et les personnes victimes d’addictions. « Autant de groupes sociaux tabous en Algérie et dans le monde arabe », souligne Abdelaziz Tadjeddine. Même la relative « tolérance » des Oranais vis-à-vis de l’homosexualité ne protège pas cette minorité sexuelle des discriminations.
Walid et Omar, deux éducateurs pairs de l’association pointe du doigt la réelle méconnaissance du sida par le grand public. Maisons de quartier, gendarmeries, universités, cabarets : ces jeunes diplômés, engagés dans l’association il y a près de 10 ans et aujourd’hui salariés, sillonnent les lieux de rencontre pour informer sur les conséquences d’une maladie encore mal comprise. Un travail de terrain indispensable pour lutter contre les préjugés. « Beaucoup pensent encore que le sida est mortel, qu’il se transmet par la salive ou en se serrant la main », explique Omar. « Moi-même avant mon entrée dans l’association en 2006, je n’aurais pas fait la bise à un séropositif, par ignorance! », confesse Walid.
Santé, dignité et prévention positive sont les trois buts de l’association. « Le but des campagnes de sensibilisation et d’information est de pousser les gens à aller se faire dépister », explique Aïcha Boutaleb, médecin chargée du dépistage fixe et mobile à l’APCS.
Dépister et orienter
Pour éviter toute discrimination, le dépistage est anonyme et gratuit. « Nous avons un laboratoire de dépistage à Gambetta [quartier d’Oran] mais nous pratiquons aussi le dépistage mobile, c’est-à-dire que c’est nous qui allons directement à la rencontre de ceux qui aimerait faire le test », explique Aïcha Boutaleb. La jeune femme était du dernier voyage qui a amené le camion blanc chargé du matériel de dépistage de l’APCS jusqu’à la Grande Poste d’Alger.
Abdelaziz Tadjeddine le confirme en chiffre : la question du dépistage est fondamentale. « On recense près de 10 000 personnes atteintes du sida en Algérie », avance-t-il. « Mais l’OMS estime de son côté que près de 30 000 personnes sont séropositives. Ce qui voudrait dire que 20 000 personnes sont porteuses du virus sans le savoir ! », s’émeut ce médecin épistémologiste. D’où l’importance de ce test encore trop peu pratiqué en Algérie, par honte ou par peur. « On ne meurt plus du sida aujourd’hui. Mais encore faut-il se soigner. » explique Abdelaziz Tadjeddine. Les personnes qui meurent du sida sont ainsi impossibles à recenser, car souvent ignorantes de leur propre maladie.
Le président de l’association souligne que l’Etat ne joue pas son rôle pour lutter contre l’épidémie. « Les seuls financements que l’on reçoit viennent de bailleurs de fond étrangers. On nous a même forcés à quitter nos locaux à Gambetta pour ceux là, rue Ho Chi Minh, plus exigus », déplore-t-il. L’APCS n’entend pas se substituer à l’Etat, précise-t-il. Elle se veut un complément des pouvoirs publics, grâce à son ancrage local et sa connaissance du terrain. « L’APCS crée le lien avec les médecins, les assistants sociaux, elle connecte intelligemment l’individu et les services publics », explique encore son président.
Des mentalités qui commencent à changer
Aujourd’hui, l’APCS d’Oran compte une centaine de membres, dont une dizaine de salariés. « Au début on avait du mal à recruter des gens car ce n’est pas politiquement correct de parler de maladies sexuellement transmissibles ou d’homosexualité en Algérie ! », raconte Abdelaziz Tadjeddine. Mais preuve que le regard des Algériens sur le sida commence à changer, les rangs de l’APCS accueillent de plus en plus de nouveaux membres.
« Les mentalités commencent à changer », commente Omar avec un grand sourire. « Enfin ».