La lecture de la presse nationale en mode digital est, depuis fin 2016, le premier moyen utilisé par les Algériens pour s’informer. Le cumul journalier des visiteurs sur les sites d’information en ligne (pur players), ajouté à celui sur les versions électroniques des journaux papiers, dépasse désormais les lecteurs de la presse papier.
Dans l’offre de contenus algériens, les sites d’informations (entre purs players et versions électroniques de journaux papiers) occupe six places dans le top 50 du classement ALEXA et apportent plus de 30 % du trafic domestique dans cette tranche du classement. Sur les 12 sites algériens les plus visités à partir de l’Algérie, six sont des sites d’information en ligne. La création d’emplois nouveaux dans la presse électronique augmente à un rythme supérieur à 100% depuis trois ans, et cette croissance approche le triplement lorsqu’on ajoute le transfert des journalistes des éditions papiers vers leur rédaction web au sein de leurs journaux. Les médias électroniques ne sont pas l’avenir. Ils sont déjà le présent.
La locomotive de cette avancée de la consultation par les Algériens des informations via le mode digital a été l’émergence des purs players. Face à la presse papier, son modèle éditorial est dépourvu de la contrainte du tirage du lendemain, et bénéficie de l’atout multimédia (sons et images). Il s’est lentement imposé comme une nouvelle référence auprès du public. Cela s’est réalisé en dépit d’un contexte fortement contraignant. Le taux de pénétration d’internet haut débit en Algérie reste le plus faible en Afrique du Nord. L’internet mobile (3G) n’a débuté qu’en 2015 et le paiement électronique en est encore à ses premiers pas en 2017. En plus de ces retards des instruments de l’édition digitale, le contexte institutionnel est resté hostile. Les éditeurs de la presse électroniques sont tolérés depuis la loi de 2012, mais toujours non reconnus par l’Etat algérien. Ils n’ont accès ni à la carte de presse, ni à la publicité institutionnelle ou celle du secteur public économique, ni au fonds national d’aide aux médias. Ils sont depuis peu soumis à l’arbitraire de la censure par la coupure de l’accès auprès du fournisseur public d’accès internet. La capacité de résilience des médias digitaux algériens face à autant de facteurs contraires doit donner à réfléchir à tous les acteurs de l’économie numérique et de l’administration. Le potentiel de l’édition électronique est inutilement contrarié.
Les autorités algériennes ont mieux à faire que de redouter ou de chercher à contenir une tendance planétaire à la digitalisation des échanges. 950 milliards de Giga-octets ont été produit en 2016 dans le monde en expansion exponentielle. Les Algériens continueront de consommer ailleurs les contenus qu’ils ne trouveront pas dans leur offre numérique domestique. C’est largement le cas aujourd’hui: 93% de la bande passante est occupé par la data produite à l’étranger. Il est temps de changer d’attitude. Cette tendance est à ses débuts. Elle va s’accélérer. Les médias digitaux sont un des pivots de ce changement. Ils ne sont pas les concurrents embarrassants de la presse écrite. Ils sont le lieu ou s’intègrent tous les supports traditionnels de la communication: le journal, la radio, la télévision, le cinéma, le sport, le divertissement. Tout ce que la société humaine produit en contenus est en train de se décliner en diffusion web et se consommer à travers des acteurs digitaux de la diffusion qui dépassent le média classique. L’Algérie a manqué le développement d’une industrie de l’audiovisuel, du film et du spectacle. Elle a pu mesurer lors de la confrontation avec la puissance de l’industrie médiatique égyptienne, suite à l’agression du bus de l’équipe nationale au Caire en 2009, combien sa faiblesse était préjudiciable. Elle a encore aujourd’hui, une chance unique de devenir un producteur important des contenus digitaux dans le monde du tout-numérique qui arrive.
Les médias électroniques que nous représentons veulent, parmi d’autres acteurs de l’économie numérique algérienne naissante, être les promoteurs de cette industrie nouvelle des contenus digitaux. L’enjeu n’est plus de contrôler l’information. Il est dépassé aujourd’hui sauf à procéder comme la Chine et créer un espace numérique national totalement filtré mais irrigué par des Amazone et des Facebook nationaux. L’enjeu est de faire exister un contenu algérien à côté des autres contenus. Il est de donner aux Algériens une représentation plurielle et réaliste d’eux mêmes. A eux mêmes et au reste du monde qui accède à ces contenus. Pour cela, nous avons pris le pari de l’investissement et nous voulons en poursuivre le risque créatif. Nous voulons redonner un souffle au travail du journalisme mis à mal par la crise du modèle économique des médias traditionnels et par l’incursion des Réseaux Sociaux comme source alternative d’information. Nous voulons combiner des métiers anciens comme ceux de la photo et de la vidéo avec des solutions nouvelles destinées pour se tenir informés de tout sur les terminaux mobiles, recruter des développeurs, encadrer les réseaux sociaux par le management de nos contenus. Nous voulons relever le défi de l’innovation que nous impose tous les jours la transformation digitale de nos comportements, pour s’informer, apprendre, consommer, vivre en société. Nous n’avons pas l’énergie de le faire contre l’Etat, mais avec lui comme partenaire.
L’Algérie veut se lancer dans la gestion de sa big-data et prévoit de réaliser des data center locaux. C’est un enjeu économique qui ne se pose pas seul. Celui de la production de la data algérienne est tout aussi important. Nous proposons un pacte stratégique d’avenir pour dynamiser cette production en permettant aux médias digitaux algériens de réaliser leur potentiel de marché. Ils n’ont rien coûté au budget de l’Etat. Leur croissance est ralentie par le confinement, l’exclusion, et aujourd’hui la censure directe. Cette politique porte préjudice au développement économique du pays, à sa modernisation. Elle doit laisser la place à la levée des contraintes et à la stimulation de cette filière. En retour l’Etat bénéficiera d’une activité transparente et dynamique qui contribuera à sa richesse, qui réduira la consommation de la bande passante importée, et qui donnera du pays une image produite à partir de son territoire par une multitude d’acteurs institutionnels. Pour le reste, la relation des médias digitaux aux normes professionnelles de la presse est équivalente à celle de la presse écrite. Elle respecte les mêmes règles et valeurs et se gère par la loi et les régulateurs.
L.R.