Santé d’Abdelaziz Bouteflika/ Le Conseil constitutionnel sait-il compter jusqu’à 102 ?

Redaction

« Staline est mort, qui va aller le lui dire ? » est une vieille plaisanterie russe. En Algérie, elle prend toute sa dimension si l’on s’en tient à l’état grabataire du Président devant qui personne n’ose faire état de l’article 102 de la constitution. A moins que nos médecins algériens aient un protocole de diagnostic de l’état de discernement mental et d’aptitude physique différent de celui de la médecine internationale ?

             « Le roi est nu » criait le petit enfant dans le célèbre conte d’Andersen, à l’attention des adultes qui n’avaient manifestement pas, ni par courage ni par intérêt, l’intention de s’en convaincre. Le petit garçon voit l’évidence, dit la réalité exposée et aucun filtre ne peut le détourner de son interprétation brute. Seul un innocent pouvait le signifier à la foule car il n’a pas encore la conscience du danger à dire la vérité.

 

Quels que soient les griefs graves à l’encontre d’un dictateur, et c’est un euphémisme quant au Président à vie en place depuis 1962, un humaniste ne souhaite jamais le pire à un être humain, bien au contraire. Mais il lui est absolument nécessaire de rappeler à ceux qui sont gratifiés d’honneurs républicains et de postes rémunérateurs, certaines dispositions constitutionnelles qui semblent avoir échappé à leur lecture. Ils ne doivent pas savoir compter jusqu’à 102 puisqu’à cet instant du texte apparaît la disposition concernant l’empêchement du Président de la république.

 

Essayons de la relire ensemble car il n’y a aucune diffamation, aucune haine ni parole de délation à lire la constitution. Ou alors est-elle si honteuse qu’il nous est impossible de la rappeler ?

 

Que dit leur constitution ?

 

L’article 102 stipule en son début: Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose,à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.

 

La cause qui déclenche l’article 102 est donc la maladie. Et c’est là toute la difficulté car qui va attester de la maladie ? Évitons de penser au Conseil constitutionnel algérien sous peine d’apoplexie de fou-rire. Laissons également de côté les députés car l’humour a ses limites. Alors, un docteur suicidaire qui veut mettre fin à sa carrière ?

 

L’article 102 suppose qu’il y ait une impossibilité à exercer les fonctions. Inutile d’être un grand professeur émérite en médecine, l’état du Président de la république est incompatible avec toute activité qui ne relève pas du repos médical et de l’assistance permanente.

 

Qu’en est-il pour les deux adjectifs, « grave » et « durable » ? Pour ce qui est du durable, le peuple algérien ne compte même plus les années où il s’est habitué à l’image d’un fauteuil sur lequel on transporte un homme absent et déconnecté de son environnement. Il ne fait également guère plus attention aux déplacements à l’étranger pour cause médicale, d’ailleurs sans aucune transparence quant à l’information. A peine ose-t-il avoir une pensée intime et interdite qui le questionne à propos de l’intérêt d’avoir accumulé trente années de rente pétrolière pour être finalement dans l’obligation de soigner le Président à l’étranger comme un pays du tiers-monde des années soixante.

 

Pour ce qui de l’adjectif « grave », que peut-il signifier pour un Président de la République ? La mission est si lourde qu’une bien plus petite indisposition permanente suffirait à la rendre impossible. Même si l’incapacité était « partielle » nous pourrions encore légitimement prétendre que ce niveau d’état de santé est absolument incompatible avec la fonction. Pour n’importe quel observateur censé, l’impotence actuelle est clairement à un stade des plus avancés. Elle est certainement un empêchement absolu au titre de l’article 102 de leur constitution.

 

Verrait-on un chirurgien souffrant de la maladie de Parkinson continuer à opérer ? Imagine-t-on un soldat atteint d’une paralysie être envoyé au front ? Autoriserait-on un alcoolique avéré à conduire un bus scolaire ? A l’évidence, certaines situations ne nous traverseraient pas l’esprit à moins d’être atteint soi-même d’une forte démence.

 

On pourra toujours nous rétorquer que le boulot d’un Président algérien consiste simplement à apparaître devant la foule qui applaudit, de rencontrer des chefs d’État dont on se demande s’ils l’entendent  marmonner, puis de signer machinalement des décret présidentiels face aux caméras, la main tremblante comme une feuille au vent. Cela, il suffit de nos yeux pour nous en convaincre et notre inquiétude repose surtout sur les personnes qui pensent les textes, les rédigent et prennent la main pour l’aider à se diriger au point de signature.

 

L’homme est à bout de souffle, son regard est hagard, lointain, fixant un vide profond, celui que seules les personnes détachées du monde atteignent. Le tremblement de la voix raisonne comme une indécence à l’égard de tous ceux qui laissent se perpétuer un tel spectacle. C’est une image désolante pour un pays qui part à la dérive et qui n’ose même plus, par la bouche de ses cadres dont l’aptitude intellectuelle n’est pas à remettre en cause, exprimer une réalité qui nous fait affronter la risée mondiale.

 

Il n’est moral dans aucune civilisation de donner en spectacle un homme impotent, visiblement incapable d’assumer la moindre tâche professionnelle et encore moins l’écrasante charge de chef d’État. Ce n’est pas seulement une disposition constitutionnelle qui est bafouée en son article 102, c’est une lourde faute morale, indigne des principes premiers de l’humanisme.

 

Alors, pourquoi cet acharnement à ne pas activer l’article 102 de la constitution ? Les réponses sont évidentes et connues de tous les algériens. Il est toujours bon de les rappeler.

 

Lâcheté ou intérêts ? Les deux !

 

Nous savons parfaitement pourquoi l’homme est exhibé dans une souffrance gestuelle inexpressive et insupportable à nos regards. Tant qu’il est à son poste, le pouvoir n’échappe pas aux autres, famille et proches politiquement. Et plus il tient, plus le temps est gagné dans une course folle d’une dernière bataille de gavage financier avant l’écroulement de l’Empire.

 

Il faut rapidement amasser les derniers milliards car les lendemains ne sont pas garantis sans un énorme matelas offshore de protection, surtout pour fuir la justice. Certains s’empressent dans une tentative acharnée à atteindre le seuil de non retour de la fortune pendant que d’autres galèrent désespérément pour accéder au Club avant que les inscriptions ne soient closes pour cause de fermeture.

 

Et plus le Président tient, plus Rome en décadence entasse ses dernières fortunes dans une grande frénésie. Les malheureux qui ont passé leur vie à applaudir l’homme, puis un fauteuil roulant, seront happés par le vent de la réalité qui va s’abattre sur eux. En tout cas, le craindront-il dans l’esprit seulement car le rédacteur de cet article est optimiste et voit en la mort du pétrole une chance inestimable.

 

Dans ce monde qui s’annonce, c’est la beauté et l’intelligence de la jeunesse qui prendra le relais. Elle n’aura certainement pas la même relation au pouvoir autoritaire et népotique que notre génération. Entre cet homme sorti des entrailles d’un ancien monde sous-terrain et leur nouvelle vie, il y aura autant de distance que celle qui sépare l’ère des cavernes et le siècle des lumières.

 

En conclusion, nous pourrions dire à tous les bien-pensants qui nous noient de citations religieuses à longueur de journée, que l’exhibition d’un homme dans un état presque végétatif, pour les intérêts de ceux qui l’exhibent, est tout simplement contraire à la religion dans ses principes de base.

 

Qu’on laisse ce vieillard terminer sa vie comme un humain, dans l’attente du jugement céleste, comme disent les croyants. Pour ma part, le jugement est rendu depuis longtemps, sur terre, c’est la damnation par l’histoire des hommes. Et je ne souhaite pour rien au monde être à la place de la fratrie car un héritage s’assume dans ses milliards comme dans ses suites pénales.

 

SID LAKHDAR Boumédiene, Enseignant