Au secours, le prix de l’essence va augmenter de… quatre dinars!    Par Hassan Haddouche

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Le gouvernement est certainement animé par une volonté sincère de faire des réformes économiques. Mais ils les mets en oeuvre avec une telle lenteur et un tel souci de ne faire de la peine à personne, qu’il court le risque de plonger, d’ici quelques années, notre pays dans une crise économique et financière majeure.

Cette fois, ça y est! On est bien les champions du monde pour le prix  de l’essence. C’est un organisme à l’autorité reconnue qui classe les pays en fonction des prix du carburant qui le dit. Le dernier classement établi par «Global Petrol Prices» est tout frais. Il date du 21 novembre 2016. Avec un prix du litre de  super à 28 centimes  de dollar, nous sommes deuxième derrière l’Arabie saoudite, mais premier pour le gas-oil qui coûte à peine  20 centimes de dollar chez nous.

One, two, three…

Quelle immense  fierté pour notre pays et ses dirigeants, l’essence algérienne est enfin «la moins chère du monde». Jusqu’à ces dernières année, l’Algérie figurait seulement dans un peloton de tête composé d’une dizaine de pays. Mais comme nos principaux concurrents ont eu la mauvaise idée d’augmenter sensiblement le prix des carburants depuis 2015, nous nous retrouvons désormais seuls en tête. Et ce n’est pas la minuscule augmentation de quatre dinars prévue en 2017 qui va changer les choses. Notre pays est désormais un solide leader mondial.

Tous bêtes, sauf nous

Quelques repères sur les profondeurs du classement ? Des pays qui sont de véritables «champs de pétrole», comme le Koweit , le Qatar, ou les Emirats Arabes Unis vendent désormais l’essence près de 2 fois plus cher que nous; jusqu’à 50 cents de dollars pour le cas des Emirats et 40 cents pour le Qatar. Allez comprendre quelque chose! Ils ont des réserves de pétrole pour plus d’un siècle et ils augmentent fortement le prix de l’essence. En Algérie, on est beaucoup plus intelligent qu’eux. Tous les experts nous disent  que dans dix ans, au rythme où se développe notre consommation de carburants, on n’aura plus de pétrole à exporter et on augmente le prix de l’essence de… quatre dinars.

Dans le classement, il y a aussi des pays qui ne sont pas de simple  champs pétroliers et qui nous ressemblent beaucoup. Ce sont des pays producteurs de pétrole dont la population est nombreuse et qui disposent de réserves de pétrole limitée comme l’Egypte, le Mexique, l’Indonésie ou encore l’Angola. Devinez combien coûte l’essence dans ces pays là ? Entre 70 cents pour l’Egypte et 95 cents pour l’Angola, en passant par 75 cents au Mexique.

La Turquie, un pays que beaucoup d’Algériens considèrent comme un modèle de réussite économique digne d’être imité, vend l’essence à 1,40 dollars le litre. Elle s’est alignée sur les prix européens qui se situent tous entre 1,30 et 1, 70 dollars pour un litre  de super. La palme de l’essence la plus chère du monde revient à le Norvège qui dispose pourtant de réserves d’hydrocarbures considérables et d’une population qui ne dépasse pas les trois millions d’habitants. Ils  sont fous ces scandinaves!

L’Algérie contre le reste du monde

Le prix moyen de l’essence au niveau mondial a été calculé par «Global Petrol Prices». Le 21 novembre 2016, il était de 97 centimes de dollars. Contre 22 centimes chez nous pour le gas-oil et bientôt  26 centimes en 2017. Un  prix qui est même inférieur à celui de l’eau minérale. C’est l’Algérie contre le reste du monde. Puisque je vous dis qu’on est plus intelligents que les autres…

Le trafic aux frontières va continuer de plus belle

Le Mexique et la Norvège, c’est loin ? Bien sûr. Mais le Maroc et la Tunisie, c’est juste à côté. Tout le monde le sait et le répète depuis des années : l’écart de prix des carburants qui se creuse entre l’Algérie et les pays voisins est une incitation puissante au développement du trafic frontalier. Le 15 décembre 2015, le gouvernement marocain dirigé par  M. Benkirane a pris une décision historique . Il a exclu  les carburants de la caisse de compensation marocaine. C’est à dire en clair que depuis cette date les prix de l’essence ne sont plus soutenus par le budget de l’Etat. Ça n’a pas d’ailleurs empêché le parti de M. Benkirane de gagner de nouveau les élections voici quelques semaines.

Vous voulez savoir  combien coûte aujourd’hui le carburant chez nos voisins de l’Ouest ?  Le 26 novembre 2016, le super sans plomb valait 10,1 dirhams, c’est-à-dire exactement un dollar et le gasoil se vendait à 8, 8 dirhams, c’est-à-dire près de 90 centimes de dollars.

En Tunisie, les prix sont un peu moins élevés, mais le super vaut quand même 1, 6 dinars, soit environ  75 centimes de dollars. On imagine facilement qu’avec des écarts de prix pareils entre notre pays et ses voisins, le trafic frontalier a peu de chances de se calmer. En 2015, selon des chiffres rendus publics par des officiels algériens, il aurait déjà coûté plus d’un milliard de dollars à notre pays. Ce n’est pas l’augmentation de quatre dinars prévue par la loi de finance 2017, qui va y changer quelque chose.

Le  montant faramineux des subventions énergétiques

Un milliard de dollars perdu en raison du trafic transfrontalier de carburants ? Ce n’est encore qu’une bagatelle. La subvention du prix des carburants coûte beaucoup plus cher que cela. Le coût financier de la politique de subvention du prix des carburants mise en œuvre depuis des décennies, était jusqu’à une date récente quasiment passé sous silence aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias nationaux. C’est seulement au cours des dernières années qu’on a commencé à l’évoquer. Le soutien des prix  des carburants va coûter à l’Etat plus de sept milliards de dollars cette année. Plus de 15 milliards de dollars par an pour l’ensemble des  subventions énergétiques.

Une croissance fulgurante de la consommation

L’«exploit» unique au monde  qui consiste chez nous à vendre le carburant moins cher que l’eau a une autre conséquence. La croissance de la consommation des produits énergétiques, stimulée par des prix dérisoires, est carrément vertigineuse. Plus de  12 %  par an pour les carburants, selon des chiffres officiels. L’Algérie produit déjà plus de 15 millions de tonnes de carburants. Elle en a importé pour plus de trois milliards de dollars supplémentaires par an en moyenne entre 2011 et 2015. Les responsables du secteur ont dans leurs cartons plusieurs projets de nouvelles raffineries qui pourraient porter la production nationale à près de 50 millions de tonnes…

Les experts nationaux les plus compétents le disent depuis des années. Les institutions financières internationales tirent la sonnette d’alarme depuis 2014. Les prix des carburants en Algérie (le même raisonnement est également valable pour les tarifs de l’électricité) sont une extraordinaire incitation à la surconsommation et au gaspillage des ressources non renouvelables du sous sol algérien.

La stratégie de l’escargot

Face à cette pression croissante, la réaction du gouvernement algérien relève de la «stratégie de l’escargot». La loi de finances pour 2016 a commencé par tenir une promesse qui datait déjà de plusieurs années. Elle mentionnait  pour la première fois le coût des subventions énergétiques pour la collectivité. Elle annonçait aussi, pour la première fois depuis 15 ans, une hausse fort modeste du prix du super  et du gas-oi. La loi de finance 2017 s’inscrit dans le même sillage : quatre dinars d’augmentation . A ce rythme-là, il faudra 20 ans pour rattraper le coût de revient des carburants et les prix pratiqués par les pays voisins. Pas sûr qu’il nous restera encore du pétrole à ce moment là.  C’est un ancien ministre des finances, M. Abdellatif  Benachenhou, qui estimait récemment que  la consommation subventionnée du gaz et du pétrole «conduira dans une dizaine d’années à l’épuisement du surplus exportable».