Sonatrach : « Il y a eu une conjoncture de lobbys et d’influences défavorables à Zerguine »

Redaction

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Six jours après l’officialisation de la démission de Abdelhamid Zerguine, au poste de directeur général de Sonatrach, les raisons de son limogeage n’ont pas été éclaircies. Qui se cache vraiment derrière le licenciement de celui qui a pris les rênes de l’entreprise pétrolière nationale en novembre 2011 ? Algérie-Focus a posé la question à Nazim Zouioueche, ex-PDG de Sonatrach, qui a géré la société publique de 1995 à 1997. 

Propos recueillis par Djamila Ould Khettab

Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a annoncé samedi 26 juillet le départ de Abdelhamid Zerguine, directeur général de Sonatrach. Avez-vous été surpris par cette annonce ?

Nazim Zouioueche : Non, c’était dans l’air depuis un ou deux mois. Ce qui m’a surpris en revanche c’est que le Premier ministre a annoncé la démission d’Abdelhamid Zerguine la veille de l’Aïd, je pensais qu’il allait attendre après les fêtes.

Aucune explication officielle n’a jusqu’à présent été avancée…

Il y en aura pas. Moi quand j’ai été démis de mes fonctions, on ne s’est pas justifié. La même chose pour mon successeur, il n’a jamais su pourquoi. Dernièrement, le seul départ pour lequel les autorités ont senti le besoin de se justifier c’est celui de Meziane [ndlr Mohamed Meziane, remercié en 2010 suite à l’éclatement du scandale de corruption de Sonatrach].

Selon vous, qu’est-ce qui a motivé le départ de Abdelhamid Zerguine ?

Plusieurs raisons. Il faut revenir d’abord sur les circonstances de sa nomination au poste de directeur général de Sonatrach. Abdelhamid Zerguine est un homme intelligent et bien élevé mais ce costume était trop grand pour lui. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur du génie civil.  Or, le coeur de l’activité de Sonatrach c’est « l’amont », c’est-à-dire l’exploitation et la production de pétrole. En plus, Zerguine a pris la tête de Sonatrach dans une période difficile : les affaires de corruption, la chute des recettes, qui est plus importante en réalité que ce que le gouvernement annonce… Depuis les scandales de corruption, rares sont les cadres à Sonatrach à prendre des initiatives et leurs responsabilités, ils préfèrent attendre les directives de leur supérieur pour « se couvrir ». Ce qui explique notamment le retard cumulé ces des derniers mois dans la réalisation de certains projets.

Donc Abdelhamid Zerguine a souffert d’un manque d’expériences et d’un contexte interne difficile…

Pas seulement. Il a été nommé à la faveur d’un jeu de lobbying, comme il est de coutume ces derniers temps au sein de Sonatrach, mais il a perdu au fur et à mesure de l’influence. La politique et les objectifs énergétiques de l’Algérie devraient être dictés par le Conseil national de l’Energie mais dans les fait ils sont à la merci du ministre de l’Energie. Donc mieux vaut être proche et en phase avec le ministre de l’Energie quand on est patron de Sonatrach. Or il y a eu une mésentente entre Youcef Yousfi et Abdelhamid Zerguine sur le dossier de l’exploitation des ressources en gaz de schiste. Ce dernier a traîné des pieds, il ne voulait pas se lancer à court terme dans l’exploitation des gisements en gaz de schiste de l’Algérie, il préférait mieux préparer le terrain. Il avait aussi peur que cela ne soit pas rentable et ne produise pas les résultats escomptés. Mais je ne pense pas que cela lui a coûté son poste.

Le ministre de l’Energie Youcef Yousfi n’est donc pas derrière le limogeage d’Abdelhamid Zerguine…

En tout cas il n’est pas seul. Un ministre de l’Energie peut avoir la tête d’un PDG de Sonatrach, pas de deux ! D’ailleurs, si seul le ministre avait voulu sa démission il n’aurait pas choisi un président par intérim [ndlr Saïd Sahnoune] pour prendre sa place, mais il aurait désigné un nouveau directeur général. Je pense qu’il y a eu une nouvelle conjoncture de lobbys et d’influences au sein de la Sonatrach qui a été défavorable à Zerguine.

Louisa Hanoune, la présidente du Parti des Travailleurs (PT), a récemment accusé Ali Haddad, le patron de l’ETRHB, de « faire installer son ami à la tête de Sonatrach dans le but d’obtenir de contrats ». Qu’en pensez-vous ?

C’est Louisa Hanoune qui a lancé la rumeur, c’est à elle de s’expliquer. Ce n’est pas impossible que des entrepreneurs, comme Ali Haddad, aient joué un rôle dans cette affaire.

C’est le troisième changement de PDG à Sonatrach depuis 2010, la société peine à retrouver une stabilité…

Oui, elle ne s’en est jamais remise des scandales de corruption et de l’affaire Chakib Khelil. Et le départ de Zerguine entraînera nécessairement d’autres changements au sein de la direction, ce qui ne va pas aider à retrouver de la stabilité. La démission de Zerguine peut aussi être mal perçue par les futurs partenaires de la Sonatrach au moment où des appels d’offres pour l’attribution de nouvelles parcelles d’exploration de ressources sont en cours d’étude.

Etes-vous inquiet pour l’avenir à court et moyen termes de l’entreprise que vous avez dirigée pendant 3 ans ?

J’ai passé toute ma vie à Sonatrach donc je souhaite que cette société récupère le panache qu’elle a autrefois eu. Mais si les PDG continuent à être choisis non pas sur la base de leurs compétences mais de leur réseau, je doute que la situation se rétablisse. Durant la décennie noire, la Sonatrach a lancé plus de projets que durant les années 2000. Elle a aussi entre temps perdu sa force : les ressources humaines. Malheureusement, depuis une dizaine d’années, la Sonatrach a perdu sa capacité à former ses employés.

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