L’établissement Nafa est basé à Taboukert, un village de la commune de Tizi-Rached, dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Il est spécialisé dans la fabrication de presse à matelas. Cette machine a permis de freiner l’importation de matelas roulés.Reportage.
Le climat est maussade en cette fin de journée de dimanche 17 novembre 2014 à Taboukert, un village relevant de la commune de Tizi-Rached, à une quinzaine de kilomètres à l’est de la ville de Tizi-Ouzou. L’astre du jour est quasiment voilé. A peine quelques lueurs de lumière sont encore visibles. Des objets artisanaux exposés aux abords de la route nationale reliant la capitale du Djurdjura à Azazga trompent le décor. Ils impriment un brin de gaieté à cet environnement d’une tristesse automnale. A hauteur de cet endroit, un petit chemin bifurque sur la droite. En l’empruntant, on prend brusquement de l’altitude. Au bout de quelques dizaines de mètres, le contraste est frappant. La rue est vide. Cette contrée est quasiment déserte. La végétation y est dense. Le calme y est total. Quelques habitations éparses sont à peine perceptibles au milieu des arbres. Un peu plus loin, sur la gauche, une petite piste agricole donne accès à une ferme. Au milieu de cette vaste oliveraie, une imposante villa dissimule un hangar. Le portail de ce dernier est grand ouvert laissant apparaître des amas de tôle, de ferraille et autres machine et objets hétéroclites. L’on se croirait dans un dépôt de ferraille désaffecté. Pourtant, c’est ici que l’Etablissement Nafa, fabrique des machines industrielles destinées aux fabricants de matelas.
Dans la petite cour, au milieu de ce cadre trompeur, un quadragénaire se tient bien debout. Taille moyenne, crâne dégarni, quelques cheveux blancs, teint roux bronzé ; Hakim est le directeur de cette entreprise familiale. Pour rejoindre son bureau, l’on parcourt la pièce principale du hangar, sur une soixantaine de mètres en longueur. Des plateformes, machines et autres structures métalliques jonchent le sol. Un ouvrier s’affaire à peindre des vérins. Un autre, muni d’un casque de soudure, pince à la main, suspend son travail sur un gros cylindre, et cède le passage. Les deux sont vêtus de combinaisons bleues. Au bout de la pièce, un escalier métallique suspendu permet d’atteindre une soupente faisant office de bureau. La petite pièce est modeste, mais bien équipée. Aux murs sont suspendus des plans grand-format. « Ce sont des plans de charpentes métalliques », explique Hakim, en y jetant un regard furtif. Mais la fabrication de charpentes métalliques, tout comme les citernes, n’est qu’une activité secondaire de l’Etablissement Nafa. D’ ailleurs, « mardi dernier, un homme d’affaires portugais, fabriquant de charpentes métalliques est venu ici me proposer de travailler avec lui. Mais j’ai refusé son offre », affirme fièrement Hakim.
Presse à matelas, un produit local bon marché
Actuellement, l’activité principale de l’entreprise est la fabrication de presses à matelas. Composée de deux parties ; un cadre fixe et une plateforme mobile soutenue par des vérins, cette machine permet de compresser les matelas afin de pouvoir ensuite le rouler manuellement. La structure métallique est dotée d’un dispositif de pression hydraulique fabriqué sur place. Les matériaux utilisés sont essentiellement des déchets ferreux. Faire du neuf avec du vieux. C’est là où réside une partie du génie des six employés de l’établissement Nafa. Cela a une grande incidente sur le coût de revient. Le prix de vente par conséquence. La presse à matelas Nafa est proposée à un prix trois fois moins cher que sa semblable importée de Chine.
Les produits locaux à l’épreuve de l’importation « sauvage »
Cependant, l’import-import et l’absence de patriotisme économique risquent de contraindre l’Etablissement à changer, une énième fois d’activité. « Les deux machines accomplissent la même tâche. La nôtre nécessite un peu plus d’effort humain, mais elle est beaucoup moins chère que celle d’importation. Si la machine chinoise est plus belle esthétiquement, la nôtre est plus robuste. Mais les Algériens préfèrent l’importation », se désole Hakim. C’est justement cette importation qu’il qualifie de « sauvage » qui a contraint la famille Nafa d’abandonner en 2006 le secteur du textile après de longues années de fabrications de « couvertures, couettes et fotas kabyles ». La fabrication de bâches à rayures a connu le même sort.
Indigné par cette préférence à l’importation, il dit avoir refusé de réparer une presse à matelas d’importation à « quelqu’un qui m’en a sollicité ». Autre obstacle : la matière première commence à se faire rare. La raison, selon lui, en est « l’exportation des déchets ferreux ». A cela vient se greffer le manque de main d’œuvre qualifiée. En outre, les fabricants de matelas, principaux clients de l’Ets Nafa, sont quasi inexistants dans la wilaya de Tizi-Ouzou.
Une entreprise qui s’adapte au contexte
En dépit de ces entraves, l’Ets Nafa a su s’adapter aux conjonctures en changeant de produits. Tels les oliviers séculaires entourant le hangar, elle s’est ainsi accrochée à la vie. A l’image de l’établissement, certains employés y ont exercé plusieurs métiers devenant ainsi polyvalents au fil des années. C’est le cas de Mouloud. Grand de taille, cheveux poivre et sel, lèvre supérieur callée par une boule de chique, il traîne derrière lui vingt ans de longévité au sein de l’entreprise. Soit près de la moitié de sa vie. « J’ai commencé à l’époque où l’entreprise fabriquait du textile. Au bout des années, avec le changement d’activité, j’ai appris la soudure. J’ai beaucoup appris avec Hakim et son père. Actuellement, j’accomplis plusieurs tâches. J’interviens pratiquement dans tout le processus de fabrication de la presse à matelas. A l’exception du tourneur qui opère exclusivement sur le tour (machine du tourneur), on est tous des ouvriers polyvalents », témoigne Mouloud.
dUne bonne réputation
Malgré le fait d’avoir freiné l’importation de matelas roulés grâce à sa presse, et son apport au développement local, l’Ets Nafa ne doit sa survie qu’à la bonne réputation de son produit. « Grâce au bouche à oreille, les gens commencent à nous connaître. Des clients nous viennent des wilayas de Bordj Bou Arréridj, de Blida et d’Alger où cette activité est plus répandu », dit-il, optimiste.
Le père, «c’est une école »
Mais le mérite revient en premier à l’inventeur de cette machine : Achour, le père de Hakim. Ancien technicien des machines de textile à la Cotitex de Draâ Ben Khedda, Achour, septuagénaire aujourd’hui, n’est pas à sa première invention. Il en avait d’autres, comme la rouleuse à matelas et le mélangeur de produits pour matelas. « Il est en ce moment à New York où il rend visite à mon frère établi là-bas », souligne Hakim. Ayant arrêté ses études à la fin des années 1980, alors qu’il était en 1er année secondaire, et n’ayant suivi aucune formation, Hakim se réjouit d’avoir tout appris avec son père. « Mon père est une école », se félicite-t-il, ému.
Un exemple de patriotisme
En début de soirée, les employés commencent à quitter les lieux. Dans la petite cour du hangar, le directeur de l’entreprise conclut sur une note de patriotisme : «Dans les années 1990, j’avais beaucoup d’occasions pour m’installer en France. Mais, je ne l’ai pas fait. On n’est jamais mieux que chez soi.»