Dernière journée de campagne ce dimanche 13 avril. L’occasion pour les deux principaux candidats, Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis, et leurs équipes d’en découdre une dernière fois, par meeting interposé. Les attaques fusent, les militants se disputent et la tension monte d’un cran. Reportage au cœur de la guerre des clans.
Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, sillonné tout le pays durant ces trois dernières semaines. C’est à la Coupole à Alger, pour les représentants du Président-candidat Abdelaziz Bouteflika, et dans la salle omnisports de Rouiba, pour le candidat indépendant Ali Benflis, que la campagne s’achève ce dimanche. Le tirage au sort des salles de meeting en a décidé ainsi : le chef de l’Etat hérite du complexe à la plus grande capacité, situé en plein centre de la capitale, tandis que l’ancien chef de gouvernement est relégué à plus de 30 km d’Alger.
Deux ambiances …
Dans le staff de campagne de Benflis, la pilule ne passe pas. « Encore, ils voulaient nous envoyer à Douéra, dans une minuscule salle », se plaint un membre du comité de campagne de Benflis de la wilaya d’Alger, en faisant la moue. De l’extérieur, la salle omnisports de Rouiba, qui passerait pour un hangar désaffecté, ne paye pas de mine. Même impression à l’intérieur, avec ces murs décrépis et ces carreaux cassés aux fenêtres. Les affiches XXL du chef de file, placardées ça et là, ne suffisent pas à maquiller la vétusté de la salle.
Ce dimanche, aux quelques 15.000 militants pro-Bouteflika, arrivés tôt dans la matinée, des quatre coins du pays, après une nuit de voyage pour certains, ont répondu dans l’après-midi plus de 2.000 sympathisants du « fils des Aurès », également débarqués pour l’occasion de différentes régions d’Algérie. Pour compenser la capacité limitée de la salle omnisports de Rouiba, les équipes de Benflis ont prévu le coup. A l’extérieur, un écran géant et des chaises en plastiques ont effectivement été aménagés afin de permettre aux malheureux, qui n’ont pas pu s’engouffrer dans la salle, de suivre le discours de leur leader.
… Deux enjeux différents
Deux meetings, deux ambiances, deux enjeux distincts surtout. Pour le clan présidentiel, la question reste la même : le Président-candidat, qui brigue un 4è mandat, apparaîtra-t-il enfin, lui qui a séché l’intégralité de la campagne présidentielle, depuis son lancement officiel, le 23 mars dernier, et a délégué le « sale » boulot à ses ministres ? Assis dans les tribunes ou au rez-de-chaussée, quelques 15.000 paires d’yeux guettent, scrutent et rêvent de voir le Raïs en personne. Toute la semaine, la direction de campagne du Président-candidat a laissé planer le doute sur la participation de Bouteflika à ce dernier rassemblement.
Aux abords de l’entrée principale de la Coupole, Mohamed, un psychologue clinicien de 30 ans, originaire d’Oran, est confiant : aujourd’hui le Président honorera le public de sa présence, assure-t-il. « Hier j’ai rencontré dans les coulisses de l’ENTV l’ambassadeur algérien en Pologne, il m’a promis qu’on allait voir le Raïs », confie-t-il. Les minutes s’écoulent, après du raï plein les baffles, la sono crache le chant de campagne pro-Bouteflika « Notre serment pour l’Algérie », qui a fait polémique.
Bouteflika, candidat fantomatique
Et les cadors politiques font enfin leur entrée. Abdelmalek Sellal, Amar Ghoul, Amara Benyounès … Ils sont tous sur scène. Tous sauf, le principal intéressé. Abdelaziz Bouteflika est de nouveau aux abonnés absents. L’immense portait d’Abdelaziz Bouteflika, le regard paternel, remplissant la scène et des vidéos de ses anciennes allocutions ne suffiront pas à faire oublier l’absence de cet omniprésent. Le public repart bredouille, après le discours expéditif du directeur de campagne, Abdelmalek Sellal. Plusieurs se disent même « extrêmement déçus ».
A côté de la déception, l’attachement à celui qui gouverne l’Algérie depuis 15 ans reste intact. Au sein des sympathisants de Bouteflika, on demeure effectivement persuadé qu’aucun des candidats ne représente une « réelle alternative politique ». « Bouteflika est au-dessus de tous. Les autres sont des opportunistes. Ils parlent de sa maladie mais aucun médecin n’a encore dit à ce jour qu’il était malade », souffle Karim, un agent de la protection civile d’une quarantaine d’années.
Les militants, qui ont fait le voyage jusqu’à la Coupole ce matin, en veulent beaucoup à Ali Benflis de laisser sous-entendre que le scrutin du 17 avril ne sera pas transparent. Le candidat malheureux de l’élection présidentielle 2004, qui a même affirmé que cette année-là « c’est la fraude qui a vraiment gagné », a mis plusieurs fois en garde contre la triche électorale, assurant que cette fois-ci il ne se « taira pas ».
« Il reconnaîtra la victoire de Bouteflika »
Parmi ceux qui disent voter pour le Président sortant, on doute fort que l’ancien chef de gouvernement mette ses menaces à exécution. « C’est un fils du système. Il reconnaîtra la victoire de Bouteflika », prévoit Abdellah, un syndicaliste de l’UGTA, fonctionnaire dans le domaine de l’énergie, avant de retourner les accusations contre l’intéressé : « Qui dit que les soutiens d’Ali Benflis n’achèteront pas des votes ou ne modifieront pas le résultat à leur guise, à Batna, à Khenchela par exemple ».
Du côté des partisans d’Ali Benflis, réunis quelques heures après les militants pro-Bouteflika, on est sur la défensive. La veille, la direction de campagne du Président-candidat a publié un communiqué de presse virulent dans lequel elle désigne explicitement, et ce pour la première fois, le candidat Ali Benflis comme responsable des perturbations qui ont émaillé les meetings politiques des représentants d’Abdelaziz Bouteflika, notamment Abdelmalek Sellal. Une offensive suivie de l’estocade apportée par le chef d’Etat en personne. En marge de sa rencontre avec le Ministre des Affaires étrangères espagnol, Abdelaziz Bouteflika a qualifié samedi de « terrorisme via la télévision » les soupçons de fraudes évoqués « par un candidat ». Sans le nommer expressément, Boutelika déclarait ainsi la guerre à son principal adversaire.
« On n’est pas des terroristes »
« On n’est pas des terroristes. Ça veut dire quoi, qu’on n’a plus le droit à la liberté d’expression ? Plus le droit de dénoncer la fraude », s’indigne Nasser, 60 ans, un membre du comité de soutien de Benflis. Assise en tribune, Beya, une retraitée de 66 ans, ne digère toujours pas que le Président ait employé le mot « terrorisme ». Un terme tabou chez cette résidente du quartier populaire d’El Harrach à Alger. « Bouteflika a franchi une ligne rouge », estime celle qui dit avoir été témoin de fraudes durant de précédentes campagnes électorales, alors qu’elle officiait comme observatrice. « A l’époque j’étais jeune, je venais d’une famille conservatrice, je n’osais pas contester », se souvient-elle. Même colère chez un autre membre du comité de soutien d’Alger : « Et ce n’est pas du terrorisme quand on dit « Inaâelbou lli my hebenache » ou « Chaoui hacha razk rabi »? », lance-t-il, en faisant référence aux récents dérapages verbaux d’Amara Benyounès et d’Abdelmalek Sellal.
« Ils ont peur de perdre »
Au sein des différents comités de soutien de Benflis, on se défend de mener une campagne propre. « J’ai rencontré le 14 octobre le candidat, il s’est engagé à mener une campagne dans les règles de l’art », se rappelle Smaïn, ex-élu d’APC dans la wilaya d’Alger et un responsable local de la campagne de Benflis, qui précise : « J’ai donné pour instruction de n’afficher des portraits que dans l’espace n°2 ».
Sur la défensive, les partisans de Benflis affichent malgré tout leur confiance. Pour eux, la sortie médiatique du Président ne signifie rien de moins que le clan adversaire est « gagné par la peur de perdre ». « La déclaration du Président est minable, misérable et triste. Il s’apitoie sur son sort et se rabaisse à pleurnicher devant un ministre européen, en appelant à condamner les hommes politiques, qui ne font qu’exprimer leurs opinions. Pourquoi s’adresser maintenant à un dirigeant étranger si ce n’est pour voler lui demander de voler à son secours », assène l’ex-candidat à la présidentielle Ali Benouari, assis au premier rang. Il voit dans le passage sur les antennes publiques du chef de l’Etat une « manipulation électoraliste ». « C’est scandaleux qu’à quelques jours d’un vote il prête aux autres les débordements de son propre clan », dénonce-t-il.
Si la tension a franchi un nouveau seuil ces derniers jours, aucun des deux camps ne penche pour la théorie du chaos après le 17 avril. Satisfaits de leur meeting respectifs et sereins quant à leur chance de victoire dès le premier tour, ils donnent rendez-vous dans les urnes dans quatre jours. Pour le dénouement d’une campagne plus qu’atypique.