Quand un voleur est fier de son butin sur la place publique Par Aziz Benyahia

Redaction

Au coucher du soleil, aujourd’hui ou demain et durant tout le mois de Ramadhan, il y aura un spectacle déroutant qu’on n’aura même pas la force d’imaginer. Dans certains foyers, dans certaines maisons modestes ou cossues, un père et ses enfants adolescents vont rompre le jeûne ensemble à l’appel du muezzin. Ils vont probablement prier ensemble ; les enfants derrière le père. Leurs regards iront vers le sol. Savent-ils au moins qu’à chaque prière, ils sollicitent la rencontre avec Dieu ?

Ils ont dit l’autre jour à la télé qu’ils revendiquent le détournement des épreuves du bac. Sans rougir, sans gêne mais avec un aplomb déroutant. Ils considèrent que ce n’est que justice. A coup sûr,  ils ne doutent pas un instant que leur jeûne sera valable et leur prière aussi. C’est probablement ce qu’ils pensent sinon d’où tireraient-ils cette audace surréaliste ? Je triche, j’apprends à mes enfants à tricher, nous trichons en famille. Ce n’est pas immoral, ce n’est pas haram c’est de la « roujla » (virilité). C’est par cette pirouette que le pays s’enfonce depuis des années dans un abîme sans fond. Ceci explique certainement cela.

Quand un voleur est fier de son butin sur la place publique c’est à se demander s’il n’y a pas eu arrangement avec le juge, à l’insu du gendarme, devant une foule désabusée.

Voilà que des parents encouragent leurs enfants à tricher. Ils leur disent que l’important c’est de « réussir », de devenir riche quels que soient les moyens et de fréquenter les puissants. Et pour mieux convaincre leurs enfants récalcitrants ils leurs diront que tout le monde vole, que les puissants habitent les plus belles demeures, qu’ils vont se soigner à l’Etranger, qu’ils narguent la justice et que leurs enfants sont définitivement à l’abri du besoin. Pourquoi les autres et pas nous ? C’est comme pour la corruption. Puisque tout le monde marche aux dessous de table pourquoi pas moi ? A la mosquée on leur a confirmé qu’ils n’étaient pas éternels et à l’hôpital on leur a dit qu’ils mourront un jour. Il leur arrive même parfois de réciter ce verset : « Que les parents responsables se représentent un instant les craintes qu’ils ressentiraient pour leurs propres enfants en bas-âge s’ils étaient eux-mêmes à l’article de la mort… » Coran 4/9.

Alors, on se dit pourquoi ce rush vers les mosquées ? A chaque fin de ramadhan, on se dit que la crise de foi amènera quelques repentirs et que l’année qui vient sera moins effrayante et l’argent moins dominateur. Or voilà que cette année on invente l’inimaginable puisqu’on vient avouer publiquement à la télévision qu’on a triché au bac, avec arrogance et l’assurance de l’impunité puisque la mode est au bras d’honneur.

Et l’Autorité Publique dans tout ça ? Et Dieu dans tout ça ? Et le ramadhan dans tout ça ? Et l’imam dans tout ça ? Et à quoi servent tous ces chouyoukhs qui nous serinent à longueur de satellite et de jérémiades inabouties dans des mosquées inachevées ? Cette misère n’a pas de nom. En arabe c’est « El gheche » et en français c’est la « triche ». Mais en langage universel on peut parler d’inceste, puisque le père et le fils fraudent en famille.

Appelons les choses par leurs noms. Quand le père apprend à ses enfants à tricher en famille il rompt définitivement les liens sacrés qui construisent et soutiennent la famille. La société perd alors définitivement ses repères. Les valeurs disparaissent et c’en est donc fini de la morale. A ce tarif-là, le père enseignant-tricheur aurait-il le culot de reprocher à sa fille de se prostituer et à son fils de dealer ?

C’est très éprouvant d’aborder ces sujets, de recourir à ces mots au cours de ce mois sacré qui nous donne l’immense avantage de nous racheter de nos égarements, d’effectuer un travail sur soi, de faire acte de contrition et d’être solidaire du pauvre, du malade, du nécessiteux et des accidentés de la vie. Moi, je ne serai pas solidaire de ces pères tricheurs, je ne partagerai pas leur chorba, ils ne viendront pas à la mienne. Je pense à la parole du Prophète (Asws): «  Celui qui triche n’est pas des nôtres ». Ces adultes qui apprennent à leurs enfants à voler, à tricher, à corrompre ou à être corrompus ne devraient pas être des nôtres. Du reste ils le savent puisqu’en trichant ils espèrent rapidement rejoindre la camp des puissants et des riches, de ceux qui se laissent persuader qu’ils trouveront bien un arrangement avec le Bon Dieu. « Ne vois-tu pas que Dieu est au courant de tout ce qui se passe dans les Cieux et sur la Terre ? Il n’est point de conciliabule à trois où il ne soit le Quatrième ni à cinq où il ne soit le Sixième. Que le nombre de participants soit en moins ou en plus, Dieu est tout le temps avec eux en quelque lieu où ils se trouvent. Et Il leur rappellera leurs actes le Jour de la Résurrection car la science de Dieu n’a point de limite. » Coran 58/8

Certes il s’agit d’une minorité de parents et d’une poignée d’élèves. Oui mais c’est comme pour les pandémies. Les virus sont minuscules mais leurs dégâts sont immenses. Parfois on arrive à les combattre et parfois il suffit de s’en prémunir en prenant les précautions nécessaires. En l’occurrence, il s’agit de triche et de vol et dans ce cas on ne pourra pas neutraliser le voleur tant qu’il ne craint pas le gendarme.

Aziz Benyahia