«Je n’ai jamais voté et je ne voterai jamais ». Cette phrase a été prononcée par une femme ou bien était-ce un homme ? Ah non, il s’agissait d’un jeune de 26 ans. Peut-être bien qu’en fait c’était plutôt cet homme, handicapé, qui a failli tomber en se levant de sa chaise. Oui, c’est lui qui a dit qu’il ne votait plus. Ou était-ce son fils qui l’accompagnait ? En réalité, tous l’ont dit. Tous sans exception. Tous le disent, sur le même ton et toujours avec cette envie d’en dire encore davantage. Confidences.
Tu ne voteras point
L’annexe administrative de l’APC d’Alger-centre située au boulevard Krim Belkacem ressemble à de nombreuses autres cellules administratives. Elle a pour objet de soulager l’APC d’Alger centre de son affluence nombreuse. Sauf qu’aujourd’hui, les gens aimeraient bien que l’annexe soit aussi soulagée. Au premier étage, au bureau de l’état civil, environ 25 personnes attendent de s’adresser à l’agent administratif pour lui demander un document précis. Tous les sièges sont occupés. Même ceux bringuebalants. Trois agents assurent le service public à cet étage où il est fréquent d’assister à des disputes. « Pourquoi voulez-vous voter ? Vous allez-voter vous ? Vous êtes journalistes, vous le savez bien qu’ils n’ont pas besoin de nous pour grimper. Pour réussir. Moi, je vous le dit : nous sommes comme des légumes sur un plat de couscous». L’expression populaire est belle. En fait, elle indique que le peuple n’est que de l’assortiment, une espèce de garniture. Sauf que dans la notion de légumes, il y aussi la notion de végéter. Le jeune assis à côté de la dame a 26 ans. Il sait bien ce que veut dire légumes. « Vous croyez qu’ils vont me donner un emploi. Les jeux sont faits. Mon père a toujours voté. Qu’est ce que ça lui a apporté ? », S’interroge-t-il. «Les mairies sont pleines à craquer H 24. Pourquoi ? On ne sait pas. Il n’ y a que deux personnes qui travaillent et qui s’en foutent ; après c’est les citoyens qui se bagarrent», lance la dame. Elle a 45 ans et deux enfants. Elle reconnait ne pas avoir beaucoup besoin de venir pour récupérer un papier. Ses enfants sont grands, ils ont leurs papiers en règle. Le jeune de 26 ans ne vient pas non plus souvent à l’APC, avoue-il. Aujourd’hui, il accompagne un copain qui est resté muet sur la question des élections communales.
Le rythme des tampons
Quelques estampes sont accrochées aux murs du premier étage de l’état civil de l’APC. Une colonne vient gêner la circulation à l’intérieur du bureau. Les fonctionnaires sont assis derrière des bureaux rendus inaccessibles par la pose de consoles ou de pupitres. On n’y trouve ni stylo, ni papier. Un fonctionnaire hausse le ton face à un homme âgé à la pose droite et à l’allure plein de noblesse. Ce dernier garde le sourire et s’excuse presque. Du coup, il se retire pour aller s’asseoir et attendre son tour. Il se rattrape de justesse, la chaise ne peut l’accueillir : il lui manque un pied. « Je voulais juste lui demander un renseignement », explique-t-il à un autre qui tient sa fille par la main. « Tout ce que je voulais c’est un renseignement. Je sais pas ce que ça veut dire moi», poursuit-il prenant le père de famille pour témoin. Les tampons se font entendre. L’agent « aux tampons », les manient avec précisions et de façon cadencée. D’abord le gros puis chlac chlac, l’autre tampon muni d’une espèce de ressort. Parfois un dernier petit tampon vient ajouter sa note sur cette malheureuse partition sonore. « Voter, moi ? D’abord je vis en Allemagne. Vous avez vu mon père ? Il peut à peine se déplacer. Il se tient grâce à une canne. Il devait venir car pour une procuration, sa présence est obligatoire. Mais on n’a pas idée de faire un bureau au premier étage sans ascenseur. Ils font comment les vieux et les handicapés », s’exclame l’algéro-allemand. «On les connait bien : la première année ils mangent, la deuxième année, ils font manger leur famille et les six dernier mois de leur mandat, ils pensent au peuple », lance-t-il pour toute parabole. Les élections municipales sont prévues le 29 novembre. Devant l’annexe de l’APC d’Alger centre, le jeune de 26 ans fume une cigarette. Il pleut encore. Les trottoirs défoncés par des travaux regorgent d’eau. A droite de l’annexe, un bureau de parti a ouvert grand la porte. Des tracts, des posters sont accrochés à la devanture. Des adolescents regardent les portraits des candidats. Ils s’esclaffent et poursuivent leur chemin…
Zineb A. Maïche